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★ CASH PISTACHE : PORTRAIT D'UNE JOUEUSE INOUBLIABLE ★

29 mai 2020
par myrollerderby ©Jim Dier/ Tom Malko/ Magicyannick
©JIM DIER
©TOM MALKO
©MAGICYANNICK

 

 

Toutes les personnes qui ont commencé le derby avant 2018 connaissent son nom. Clamé depuis des années dans les gymnases par le public venu admirer le jeu impressionnant de son équipe : la Nothing Toulouse. Cash Pistache a fait ses premiers pas sur le track alors que le roller derby faisait son entrée en France. Nous sommes alors en 2011. Sept années pendant lesquelles elle a porté le couvre casque étoilé, s'est adaptée à l'évolution du jeu, a multiplié les performances et brillé avec une constance de jeu admirable et un style sans pareil. Cash Pistache a sans doute inspiré plus d'une joueuse et fait naître des passions dans la communauté. Elles sont très rares celles qui peuvent se vanter d'avoir été selectionné aux trois coupes du monde consécutives de roller derby. Mais se vanter justement ce n'est pas son truc; Cash est d'une humilité rare, discrète et d'un calme qui jurerait presque avec l'intensité et la vitesse avec laquelle elle explose les murs des bloqueuses adverses. C'est une force tranquille qui est sortie du track aussi franchement qu'elle y est entrée. Après autant d'années d'entraînement, de matchs, de coups et blessures, de succès et d'émotions, après une telle dévotion sportive, quand, pourquoi et comment décide-t-on qu'il est temps d'arrêter, de raccrocher les patins et de mettre son maillot au placard? Audrey Magnan aka Cash Pistache se confie dans une interview signée Myrollerderby.

 

 

 

©Jim Dier

 

 

Cash Pistache, tu as donc arrêté le roller derby il y a un an maintenant. Peux-tu nous faire faire un tour d'horizon de ta "carrière" sportive depuis tes débuts jusqu’à ta "retraite" récente?

"C’est exact ! J’ai arrêté le roller derby fin 2018. L’histoire a commencé au printemps 2011 à Toulouse. C’est grâce à la rencontre de Chakk Attack joueuse et co-fondatrice du club Roller Derby Toulouse que je découvre ce sport et me laisse tenter pour un essai. Le coup de cœur est là et je fais alors mes débuts en tant que fresh meat en commençant par les bases du patinage. J’ai rapidement pu intégrer la Nothing Toulouse au poste de jammeuse. L’opportunité de passer les sélections pour représenter la France pour la 1ere World Cup s’est présentée au courant de l’été 2011. J’ai tenté ma chance avec succès et direction Toronto en décembre 2011 pour cette première mondiale avec le 1er collectif France. Cette expérience m’a positivement marquée et m’a déterminée dans mon envie de progresser.


En parallèle, j’ai aussi accepté de coacher l’équipe masculine de Roller Derby Toulouse (2011-2014). Ce fut une belle expérience humaine et sportive qui indéniablement a enrichi ma vision du jeu et de l’équipe. En parallèle, la Nothing progresse dans le classement, le club s’agrandit et de nouvelles équipes voient le jour. En 2014, je suis sélectionnée pour la 2ème Word Cup à Dallas mais, à quelques mois de la compétition, je me blesse et ne peux y prendre part. Après une interruption de 6 mois, je reprends l’entrainement et reviens en compétition avec la Nothing. En parallèle, le collectif équipe de France continue et je suis sélectionnée pour la 3ème World Cup à Manchester en février 2018. Un des plus beaux moments de compétition que j’ai pu vivre! Il y a aussi eu 2 titres de championnes de France en championnat Elite avec la Nothing et tellement de bons souvenirs avec cette équipe de cœur". 

 

C’était quoi la place du derby (mentalement et physiquement) dans ta vie pendant toutes ces années de pratique?

"Pendant ces 7 années, le derby a pris, c’est sûr, beaucoup de place et souvent la priorité sur beaucoup de choses ! Mentalement, c’était l’assiduité aux entrainements, les échéances de compétition, tout l’humain que génère la vie d’un groupe, le club, le rôle de coach pendant quelques années, l’équipe de France. Oui, tout ça prend de la place dans la tête mais c’était du plaisir avant tout. Mentalement, il y a aussi l’exigence envers soi-même et le collectif quand on fait de la compétition, parfois les doutes et les remises en question. Il faut tout gérer, compartimenter, pour que ça soit toujours plus moteur que fardeau.

Physiquement, on est dans un sport de contact et de vitesse. On met son corps à rude épreuve; on l’entraîne à se renforcer, à être plus performant pour mieux jouer. C’est aussi donner du temps à la préparation physique en dehors du temps de jeu. Cette dépense physique était vraiment un exutoire. J’aimais sortir des entrainements lessivée et pouvais être frustrée quand je sentais qu’il m’en restait sous la semelle. Physiquement, mon mode de vie a évolué avec le roller derby. J’ai prêté plus d’attention à mon alimentation, je me rajoutais des séances perso de prépa physique, je limitais les excès pour privilégier ma forme et les entrainements à suivre. Je voulais être à 100%."

 

Qu’est- ce que ce sport t'a apporté ?

"Ce sport m’a tellement apporté ! Physiquement, j’ai amélioré et développé des capacités. C’est satisfaisant de se voir progresser et de le ressentir dans son jeu. Je n’avais jamais eu à repousser autant mes limites physiques que dans ce sport. Je m’y suis découvert des capacités d’adaptation, de dépassement de soi et de résistance que je n’étais jamais allée chercher auparavant. Le roller derby a aussi aiguisé mes capacités de concentration et de self control.  

Ce sport m’a donné de la confiance. Je l’ai débuté alors que j’arrivais à Toulouse et que je traversais une période un peu floue professionnellement et personnellement. Il m’a permis de me structurer, de me donner un cap et des objectifs quand j’en manquais. Il a créé un espace d’épanouissement. Humainement, le roller derby m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes inspirantes et de vivre des expériences collectives uniques. Sans aucun doute, ce sport a forgé des facettes de moi qui continuent de me guider dans ma façon d’être et de faire aujourd’hui". 

 

Est-ce que tu as conscience de la notoriété que tu as acquis au sein de la communauté du roller derby ? Qu’est-ce que c’est que d’être dans la peau du « Zidane du roller derby » ? 

"Oui et non. J’ai eu la chance de progresser rapidement dans un sport émergeant en France et tant mieux si j’ai pu inspirer sur mon passage. Quand le match se termine et qu’on vient vous féliciter, bien sûr que ça fait plaisir et que ça donne la sensation du job bien fait. C’est toujours gratifiant. Personnellement, je ne me suis jamais mise sur un piédestal. Je suis restée fidèle à moi même sans me prendre la tête, en restant lucide et en essayant de jouer le mieux possible. J’ai eu la chance de croiser sur mon parcours des coachs et des joueuses qui m’ont aidée à évoluer dans le bon sens et à tirer le meilleur de moi-même". 

 

Comment as-tu réussi à conjuguer une pratique sportive à haut niveau avec ta vie professionnelle et personnelle?

"Il ne faut pas se le cacher, le roller derby, à cette période-là, est passé devant beaucoup de choses ! Côté professionnel, j’avais la chance d’avoir un job qui me permettait facilement de m’arranger pour les Week ends en déplacement et d’être disponible pour les entrainements. A l’époque, c’était ma priorité. J’aurais sûrement été capable de renoncer à des évolutions professionnelles que j’aurais jugé incompatibles avec mon engagement sportif. Côté personnel, on vit un peu beaucoup derby. C’est plus facile quand votre entourage est compréhensif sur vos choix et comprend le temps que vous y consacrez sans vous le reprocher. J’ai eu la chance d’être soutenue et encouragée par le mien". 

 

Est-ce que ton rapport à évolué au fil des années?

"Le roller derby a très vite évolué ces dernières années autant dans les règles, les stratégies que le travail d’équipe et la vision de jeu. Toutes ces évolutions ont apporté des challenges d’adaptation mais aussi d’innovation. Tout cela m’a donné sans cesse des défis et j’ai dû faire évoluer mon jeu : apprendre à jouer plus avec ses coéquipières, coordonner des attaques, devenir plus endurante et plus patiente dans des défenses de plus en plus solides, développer de nouvelles compétences techniques. Les challenges n’ont pas manqué et le plaisir a toujours été le moteur dans ma progression".

 

Pendant 7 ans on imagine que la vie derby n'est pas un long fleuve tranquille. As-tu rencontré des difficultés en chemin?

"Il y a eu une pause forcée sur le parcours. En juillet 2014, j’ai eu une rupture du tendon d’Achille lors d’une partie de volley Ball en loisir. Cet événement me prive de la Coupe du Monde à Dallas et sur le moment, c’est très difficile à digérer et à accepter. J’ai préféré pendant ce temps me couper du roller et me consacrer à 200% à la rééducation avec l’objectif de reprendre mon sport 6 mois après la blessure. J’ai été très bien épaulée autant par des professionnels compétents que par mon entourage pour y arriver.

Cette période a été parsemée de doutes et je me demandais si j’allais récupérer totalement et pouvoir retrouver mon niveau. Au final, cette épreuve m’a renforcée et j’ai su tirer des éléments positifs de cette rééducation. J’ai pu reprendre dans le timing que je m’étais fixé et continuer à progresser par la suite. En dehors de cet épisode, le chemin a été plutôt sans embuche physique ni ras le bol ! J’ai su garder un plaisir constant de jouer et de m’impliquer dans l’équipe". 

 

Comment et pourquoi est née en toi la décision d’arrêter ? Il y a t-il eu une sorte de déclic ?

"La décision d’arrêter s’est progressivement imposée à moi avec l’arrivée d’un nouveau projet professionnel. En 2015, j’ai co-fondé Silex & Fourchette, concept de restauration paléo sans gluten ni lactose. Pendant plusieurs années, le projet s’est développé « en couveuse », plus précisément dans le bar culturel Obohem, jusqu’à ce que nous franchissions le cap d’ouvrir notre propre restaurant. A l’été 2018, nous trouvons un local et engageons les démarches. A ce moment-là, je pensais encore continuer le roller derby et j’avais pris ma licence pour la saison à venir. Peu à peu, j’ai vu le temps physique et mental que me prenait le projet et compris, par les choix qui s’imposaient, que je n’aurais plus les Week ends de libres pour la compétition. L’ouverture du restaurant était prévue pour novembre 2018, et c’est après quelques entraînements de début de saison que j’ai pris la décision d’arrêter. Il fallait se rendre à l’évidence, je ne pouvais pas être à 100% sur les deux tableaux et l’engouement autour de ce nouveau projet pro m’avait déjà happé. J’avais des choses à me prouver sur ce terrain-là et c’était le moment que je m’y investisse pour préparer l’avenir". 

 

As-tu eu peur d’arrêter?

"La décision s’est imposée naturellement avec ce nouveau départ professionnel. Mon mental était déjà absorbé par ce dernier mais il n’empêche qu’il y a quand même eu la peur du manque. Elle a très vite été éclipsée par ce nouveau job prenant qui faisait que j’avais régulièrement ma dose d’adrénaline et de dépense physique ! Bref, c’était le bon moment pour moi".

 

Qu’est qu’on ressent quand on joue son dernier match ? Il y a t-il eu un moment symbolique de ton départ ? 

"Pour la peine, je l’ai joué sans savoir ce que c’était le dernier match puisque la décision est venue progressivement en début de saison 2018. C’est pas plus mal comme ça, les aurevoirs et les adieux c’est pas trop mon truc. Alors je ne sais pas ce qu’on ressent quand on joue son dernier match…il semblerait qu’il reste quelque chose à cocher sur la liste!"

 

Comment l’as-tu annoncé à tes coéquipières et quelles ont été leurs réactions ? 

"J’ai fait un message à l’équipe pour expliquer ma situation à l’époque avec le démarrage du projet. J’avais sous-estimé le temps, l’énergie que ça me demandait et j’allais être off pour cette saison. Moi-même à ce moment je n’ai pas employé le mot « retraite » car je ne m’y étais peut-être pas préparée. Les coéquipières et coachs ont été compréhensifs et m’ont encouragée dans ma nouvelle aventure professionnelle".

 

Gardes-tu aujourd’hui un pied dans le roller derby ?

"Il m’est arrivé de chausser les patins 2 ou 3 fois en mode ballade mais pas de retour sur le track. Autant dire qu’on se rapproche fortement du stade « les patins sont sur la cheminée » ! Je ne garde pas de pied dans le roller derby mais j’ai toujours un œil sur les résultats de Toulouse et des équipes de France. J’ai toujours plaisir à revoir les personnes que j’ai côtoyées dans ce sport, à échanger roller derby et autre".

 

Te sens-tu parfois nostalgique du derby ? Est-ce que ça te manque? Et qu'est ce qui ne te manque pas?

"Je n’ai pas de nostalgie mais plein de beaux souvenirs de cette aventure. Je ne le vis pas comme un manque non plus. Il m’arrive d’avoir des flashs, la piste, le contact, la vitesse, certaines sensations mais sans y attacher une émotion particulière. Un peu comme quand une personne vous vient à l’esprit sans raison. Ce qui ne me manque pas : les odeurs de protecs, les week-ends gymnase, dormir dans un hall d’aéroport.

 

As-tu remplacé le derby par d’autres choses ? Continues-tu le sport et si oui lequel ? 

"Silex & Fourchette a pris beaucoup de place ces derniers mois dans ma vie et de nouveaux projets d’ouverture sont dans les tuyaux. Un nouveau sport inattendu s’est invité dans le planning : le futsal. Je n’avais jamais été attiré par le football en général, mais, de fil en aiguille, je me suis retrouvée à participer à la création d’un groupe mixte. Nous jouons une fois par semaine et je m’éclate ! J’ai démarré avec tout à apprendre côté technique et ça me challenge. La dépense énergétique me correspond, on est tout le temps en mouvement entre les phases d’attaque et de défense. C’est très cardio, tout en demandant vision et construction de jeu. C’est un moment loisir pour retrouver les copains et copines, décompresser, mais la compétitrice que je suis, ne peut s’empêcher de jouer à 100% quand elle est sur le terrain".

 

C’est quoi aujourd’hui ta vie sans le derby ?

"Ma vie sans le derby c’est moins de contrainte de planning, davantage de soirées libres, moins de bleus et moins de corne au pied. Comme il ne peut pas y avoir que des avantages, c’est aussi moins d’adrénaline, moins de muscles et moins de rigolades avec les copines de l’équipe. Le derby dans ma vie reste ma plus belle expérience sportive et la plus aboutie. Quand j’étais enfant, j’ai toujours eu des étoiles dans les yeux en regardant les exploits de champions et championnes. J’ai sûrement rêvé d’être un jour à leur place. Je suis heureuse d’avoir pu réaliser ce bout de rêve en vivant l’expérience du haut niveau à l’échelle du roller derby et d’avoir pu mettre quelques étoiles à mon tour dans certains regards. Et puis, le roller derby, c’est une foule de personnes qui me reste en mémoire (joueuses et joueurs, coachs, supporters et arbitres) avec qui, j’ai un jour, partagé quelque chose, le track ou un peu plus, et écrit un peu de cette histoire collective".   

 

Si tu devais choisir ton plus beau souvenir de ces 7 années ? 

"Le plus beau…je dirais le match contre la Suède lors de la World Cup à Manchester en 2018. Tous les ingrédients étaient réunis : une équipe de France en place qui ne lâche rien et sort son plus beau jeu, un adversaire qui nous met sous tension avec un score très serré jusqu’au bout, un public français qui nous porte dans une ambiance électrique, et au final l’équipe de France qui sort vainqueur et décroche la possibilité d’aller jouer la 5ème place du podium. Frissons garantis et sensation de la copie « parfaite » rendue sur ce match par l’équipe !

Bien sûr, il y a eu d’autres moments forts comme la 1ère victoire de la Nothing dans le championnat Elite. Les duels Toulouse-Paris ont toujours été très attendus et intenses en adrénaline. Il aura fallu plusieurs occasions manquées, parfois de peu, avant d’aller décrocher la victoire. Le coaching de l’équipe masculine toulousaine m’a aussi offert de beaux frissons, de belles images de jeu et de joie, notamment lors de leur 1er titre de champions d’Europe en 2012". 

 

As-tu des regrets ? Des choses inachevées ? 

"Il y a eu des envies d’évolution inachevées, comme celle de jouer au poste de bloqueuse. Cette envie de diversifier mon jeu était présente depuis plusieurs saisons bien que j’ai toujours pris du plaisir à évoluer au poste de jammeuse. La saison où j’ai décidé d’arrêter aurait peut-être pu être la bonne car le pôle de jammeuses s’était bien étoffé. Pas de regret pour autant ! Pendant toutes ces saisons, j’ai évolué sur un poste qui me rendait stratégique dans les équipes où je jouais, et, au fond c’est ce qui comptait".

 

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